Interview du célèbre agronome Marc Dufumier

Interview du célèbre agronome Marc Dufumier qui viendra exposer son point de vue aux Brivadois, vendredi 26 Septembre à Brioude.

Source : La montagne : 23 septembre 2014

Pour Marc Dufumier, le retour à une agriculture artisanale n’est pas le retour à l’âge de pierre, bien au contraire : « L’agriculture moderne de demain va être très savante ».? - photo DR
Pour Marc Dufumier, le retour à une agriculture artisanale n’est pas le retour à l’âge de pierre, bien au contraire : « L’agriculture moderne de demain va être très savante ».? – photo DR

Enseignant-chercheur reconnu mondialement, Marc Dufumier se propose de lancer le débat autour du diptyque alimentation saine et agriculture durable.

Après avoir parcouru les champs d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique, l’agronome-géographe Marc Dufumier sillonne la France pour discuter de l’avenir de l’agriculture. La première adjointe au maire de Brioude, Marie-Christine Degui, est à l’origine de sa venue en cité Saint-Julien, vendredi soir. Avant-goût de sa conférence-débat…

Vous avez longtemps travaillé dans les pays du Sud et vous vous intéressez maintenant à l’agriculture biologique… Quel a été votre cheminement ?
Le Sud m’a appris deux choses : que nos agricultures industrielles font, en exportant leurs excédents vers les pays du Sud, le plus grand tort aux paysanneries locales. Le sac de riz récolté par une paysanne malgache va s’échanger au même prix que celui cultivé en Camargue ou en Caroline du Sud ( États-Unis), alors qu’il aura demandé deux cents fois plus de travail…

L’autre chose que j’ai apprise, c’est que, là-bas, il s’agit souvent d’une agriculture artisanale qui associe plusieurs espèces, plusieurs variétés. À l’hectare, c’est une agriculture hyperperformante. Et plus encore si l’on raisonne en termes de valeur ajoutée. Notre agriculture à nous produit beaucoup, mais détruit beaucoup aussi.

« Il y a urgence
à produire mieux ! »Vouloir à tout prix exporter est coûteux en dégâts environnementaux et en énergies fossiles, sans compter les coûts cachés que l’on paiera sous forme d’impôts et de cotisations à la sécurité sociale. Il y a urgence à produire mieux !

Nos agriculteurs protestent contre la directive nitrates, arguant que l’Auvergne n’est pas la Bretagne et ses algues vertes…
Les agriculteurs ont parfois quelques raisons de trouver que les directives européennes sont trop uniformes. Et c’est vrai que les modalités de rémunération de la PAC et les directives européennes sont contradictoires. Mais, dans des régions comme la vôtre, il faut absolument éviter que la situation ne devienne aussi grave qu’en Bretagne. L’urgence, c’est de refabriquer du fumier, et non plus du lisier, d’élever les animaux sur la paille, avec des litières et pas sur du ciment.

Cela signifie plus de travail… C’est vrai : il faut de la paille, la transporter vers l’étable, puis transporter le fumier dans les champs. Et, malheureusement, les subventions PAC ne rémunèrent pas ce genre de choses…

Vous arrive-t-il de discuter de ces sujets avec les agriculteurs installés en conventionnel ?
Oui, j’ai le goût du débat. J’aime leur rappeler, en tant que scientifique, que leur objet de travail, ça n’est pas le sol, la plante ou le troupeau, mais un écosystème. Il n’y a pas de pénurie de soleil annoncée avant fort longtemps, or l’essentiel est de faire l’usage le plus intensif de ces rayons, puisque l’on transforme l’énergie solaire en énergie alimentaire. Je leur dis que les plantes, avec le gaz carbonique, fabriquent du sucre, de l’amidon et de l’huile, et qu’on devrait les payer pour nous débarrasser de ce gaz à effet de serre ! Là, ils commencent à m’écouter car ils ne se sentent pas stigmatisés. Il ne faut pas oublier que la principale facture de notre agriculture, ce sont les engrais azotés de synthèse et les produits phytosanitaires. Si l’on cultivait plus de légumineuses (pois, lentilles…), on n’aurait pas besoin d’importer du soja, ni d’engrais azotés de synthèse…

Il faut pourtant bien nourrir les milliards d’êtres humains qui peuplent la planète…
Je suis pour une agriculture intensivement écologique, pour l’usage intensif des coccinelles et des scarabées, des mésanges et des crapauds… La véritable opposition n’est pas entre le naturel et le chimique, mais entre une agriculture artisanale et une agriculture industrielle. Techniquement, je suis optimiste. C’est faisable de nourrir sainement 9,5 milliards d’êtres humains.

Mais comment ?

Si les données scientifiques vous donnent raison, les décisions politiques ne devraient pas traîner…
Je vais vous avouer que j’ai reçu une claque. Les rapports de force sont tels que, même les gens qui adhèrent au raisonnement n’osent pas proposer cela… Ça fait peur et la difficulté du combat est là. Plutôt que de dire « il faut un virage à 180 degrés », on reconnaît qu’on va dans le mur, mais on se contente de mettre des rustines…

« Si l’on continue comme ça, à la sortie de Paris, on aura des friches, des forêts, des loups… »A Brioude, producteurs et consommateurs se sont regroupés au sein d’une Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) : est-ce une initiative réaliste ?
Il faut arrêter les caricatures. L’AMAP, ce ne sont pas vingt « bourgeois-bohèmes » qui prennent leur voiture pour aller chercher 500 grammes de fraises ! C’est l’agroécologie qui revient à l’échelle territoriale. Sur place, ça fait du bien, mais surtout, cela a une valeur exemplaire. C’est très important de faire ces démonstrations. Il faut rémunérer la généralisation de ces expériences réussies.

L’agriculture telle qu’elle est pratiquée sur la majorité du territoire français a-t-elle un avenir ?
Il ne faut pas rêver : on ne sera pas, en France, compétitif pour le sucre, les céréales, l’huile… Ni face aux poulets brésiliens ! Si l’on continue comme ça, à la sortie de Paris, on aura des friches, des forêts, les loups… Les avantages compétitifs de la France, ce sont ses produits du terroir.

Vous êtes expert auprès de la FAO et de la Banque Mondiale… Que venez-vous faire à Brioude ?
Il arrive qu’un intellectuel puisse discuter avec un ministre, un commissaire européen et sortir d’une réunion avec des décideurs politiques persuadé d’avoir marqué des points. Eh bien, dans l’immense majorité des cas, c’est faux… L’argument n’est pas suffisant pour qu’un politique ait le courage de prendre des décisions fortes. Ce virage ne peut se faire que s’il y a l’adhésion du plus grand nombre. L’opinion publique est très importante. Je ne viendrais pas donner une conférence à Brioude si je n’étais pas convaincu de son utilité.

L’écouter. Rendez-vous ce vendredi, à la Halle aux grains de Brioude, à 20 h 30. Gratuit.