Notre lettre au préfet contre le projet de méthaniseur

COLLECTIF METHANISATION (*)

Monsieur le Préfet de la Haute-Loire

avenue Charles De Gaulle

43000 LE PUY EN VELAY

Brioude, le 6 Janvier 2023

Monsieur le Préfet

Nous sommes un collectif d’organisations citoyennes, paysannes, écologiques réuni autour de Brioude et nous nous questionnons sur la pertinence et le bien fondé d’un certain type de méthanisation agricole. A travers ce courrier, nous souhaitons vous poser quelques questions sur le méthaniseur de Saint Laurent Chabreuges (AgriBrivaMétha) dans le cadre de la finalisation de l’instruction de la demande d’enregistrement de cette installation au titre de la légistation ICPE et en prévision de l’arrêté que vous serez amené à prendre.

L’objectif légitime d’une baisse du recours aux énergies fossiles afin de lutter contre le réchauffement climatique est évidemment central dans tout développement d’une source d’énergie renouvelable. Le « biométhane » pourrait apporter sa contribution à l’évolution favorable du mix énergétique en dépit des incertitudes qui persistent sur le bilan global de l’énergie « du champ au brûleur », ainsi qu’en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

La nécessité de réduire, à court terme, notre dépendance au gaz naturel actuellement importé de Russie est absolument prioritaire, dans un contexte géostratégique durablement tendu avec ce pays.

Cependant, concernant les agro-carburants (dont le biométhane constitue l’une des composantes), il convient de s’interroger fortement sur l’affectation des surfaces agricoles à un usage énergétique, forcément en concurrence avec la vocation alimentaire première de l’agriculture.

Or, justement, dans le dossier du méthaniseur AgriBrivaMétha, présenté cet été à la consultation du public, nous constatons que plus d’un tiers des intrants alimentant le méthaniseur, provient déjà de cultures dédiées et que le projet présenté va encore aggraver cette situation.

En effet, selon les chiffres présentés :

  • Le gisement d’intrants actuel du méthaniseur est de 10 941 tonnes/an qui se répartissent en :

7 021 t/an de déchets agricoles (5 821 t/an de « déchets » (**) d’élevage et 1 200 t/an de déchets végétaux), soit 64,2 % des intrants

3 920 t/an issus de cultures dédiées (maïs, seigle et sorgho), soit 35,8 % des intrants.

Le maïs représente, à lui seul, 20,3% des intrants

  • Le gisement projeté serait porté à 12 600 t/an réparties en :

6 100 t/an de déchets agricoles (6000 /an de « déchets » d’élevage et 100 t/an de déchets végétaux) , soit 48,4% des intrants

6 500 t/an de cultures dédiées, soit 51,6 % des intrants

Le maïs représente 17,5 % des intrants.

Nous constatons donc que ce méthaniseur fonctionne déjà aujourd’hui à plus d’un tiers grâce à des intrants issus de cultures dédiées et que le projet présenté prévoit encore un accroissement de cette part à plus de la moitié.

Celle-ci deviendrait ainsi majoritaire, ce qui est très loin des objectifs affichés initialement et largement répandus dans la presse d’une valorisation principale de déchets agricoles !

Comment les services de l’État vont-ils contrôler les origines des tonnages d’intrants alimentant le méthaniseur ? S’agira-t-il d’une simple procédure déclarative ou d’un contrôle administratif réel sur le terrain ?

Comment et par qui sera contrôlée la limite des 15% de cultures dédiées ?

Plus inquiétant encore, une part importante du maïs destiné à alimenter le méthaniseur sera irriguée (le détail n’est pas fourni précisément dans le dossier mais presque tous les agriculteurs membres d’Agribrivametha irriguent une partie importante de leurs cultures de maïs).

Or, ce point est particulièrement préoccupant dans un contexte de sécheresses répétées et qui seront de plus en plus fréquentes, compte tenu du changement climatique en cours. Le maïs nécessite, en effet, des apports d’eau importants, pendant la saison chaude.

L’irrigation est faite par aspersion avec des pertes très importantes par évaporation. Le Brivadois étant une région au climat sec (moins de 600 mm d’eau par an en moyenne), il n’est donc pas logique de développer encore les cultures de maïs irriguées dans la région.

Est-ce compatible avec les restrictions déjà annoncées et, à moyen terme avec la nécessaire adaptation en terme d’utilisation de l’eau dans notre territoire ?

Concernant les épandages de digestat, nous nous posons plusieurs types de questions :

  • Dans le plan d’épandage présenté il n’y a pas de carte générale permettant de repérer facilement les parcelles concernées. Le dossier ne comporte que des photographies aériennes.

Il n’y a pas de numéros de parcelles cadastrales, pas de carte topographique.

  • Contrairement à ce que laisse entendre le dossier présenté, la qualité agronomique du digestat d’un méthaniseur n’est pas comparable à celle d’autres amendements organiques.

L’étude menée par le FIBL (Institut de recherche de l’agriculture biologique Suisse) et Agroscope (centre de compétence pour la recherche agronomique Suisse) révèle :

  • que les sols fertilisés avec du compost captent 37% de carbone en plus par rapport à ceux fertilisés avec du digestat de méthaniseur.
  • que les sols fertilisés avec du digestat captent 47 % de biomasse en moins par rapport à ceux fertilisés avec du compost.
  • Enfin, concernant la partie liquide des effluents, nous nous interrogeons sur le fait que seul un épandeur type « pendillard » sera utilisé, alors qu’un enfouisseur permettrait de réduire les émanations ammoniacales et celles de protoxyde d’azote.

Nous, paysans, éleveurs, citoyens, habitants, sommes inquiets du développement de ce type de méthaniseurs agricoles sur notre territoire.

Le métier de paysan n’est-il pas de nourrir la population en quantité et qualité suffisante ? Ou bien est-il condamné à devenir producteur de gaz ou d’électricité pour avoir enfin un revenu digne ?

La rentabilité de la production d’énergie n’est pas celle de la production de lait, de viande, de légumes ou de céréales et cela a un impact. Les terres achetées par des agriculteurs possédant des méthaniseurs se vendent souvent au-dessus de leur valeur.

Cela pose un sérieux problème d’accès au foncier pour le reste des paysans, obligés de s’aligner sur les prix. Les méthaniseurs consomment de la nourriture destinée aux animaux, qui elle aussi se raréfie du fait des sécheresses et qui voit ses prix s’envoler : encore une attaque au revenu des paysans.

Une telle voie apparaît comme une « mal adaptation » face au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources naturelles. La mal adaptation est , selon le Ministère de la transition écologique et le GIEC, « un changement opéré dans les systèmes naturels ou humains qui font face au changement climatique et qui conduit (de manière non intentionnelle) à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire) ».

Sans préjuger de vos réponses, les organisations signataires s’opposeront à tout projet :

  • où les cultures dédiées représenteraient plus de 15% des intrants,
  • qui ferait appel à des cultures irriguées,
  • qui ne serait pas soumis à des contrôles effectifs par les services de l’Etat et dont les résultats ne seraient pas rendus publics.

En attendant une réponse à nos questionnements, veuillez agréer, Monsieur le Préfet, nos respectueuses salutations.

(*) Organisations, associations et syndicats signataires à cette date:

  • AMAP Absolu Brioude
  • Collectif Eco Citoyen Brivadois
  • CGT agroalimentaire et forestier 43
  • Confédération Paysage Haute-Loire
  • France Nature Environnement 43
  • Groupement Foncier Agricole Citoyen du Brivadois
  • Haute-Loire Biologique
  • MODEF Haute-Loire
  • Nature et Progrès Haute-Loire

(**) pour nous il ne s’agit pas de déchets mais de sous produits agricoles destinés à fertiliser les sols ( azote et carbone )