➔Les arbres sont-ils intelligents ?
Compte-rendu d'une conférence de Catherine LENNE, par Brigitte Pommarel
Définir l’intelligence
Pour Aristote, les plantes ont une âme mais une âme « végétative », qui ne leur sert qu’à se nourrir et se reproduire.
Darwin fait progresser l’étude des plantes par sa théorie de l’évolution : le fait qu’elles s’adaptent et évoluent montre qu’elles perçoivent leur environnement.
La recherche actuelle pluridisciplinaire explose dans le domaine de l’étude des plantes. On nous montre les plantes comme des êtres peut-être dotés d’une certaine forme d’intelligence.
Jean Piaget définit l’intelligence comme « un état d’équilibre maximum entre un être vivant et son milieu » et les processus cognitifs comme « tous les moyens qui nous permettent de traiter l’information » (perception, sensation, mémoire, attention, communication, apprentissage, langage, etc…)
Alors, les arbres et les plantes ont-elles des processus cognitifs ?
Qu’est ce que La sensibilité biologique ?
D’abord percevoir des stimuli à travers les sens et y répondre.
Les sens sont classés selon la nature des stimuli :
- Les signaux électromagnétiques : par exemple la lumière.
- Les signaux mécaniques : par exemple l’ouïe, le sens de l’équilibre ( graviperception et proprioception ), de la douleur, de la température…
- Les signaux chimiques : par exemple le goût, l’odorat…
Les plantes sont-elles capables de percevoir ces signaux ?
Catherine Lenne prend l’exemple des signaux mécaniques et le sens du toucher.
Elle l’illustre par deux vidéos sur la sensitive et la dionée, deux plantes « chatouilleuses ».
Il y a une perception qui aboutit à une réponse, donc bien une sensibilité.
Même chose avec les plantes lianes. La plante cherche un support puis s’enroule autour. Ceci grâce à une croissance différentielle entre la face qui a touché le support et l’autre face.
Le sens du toucher est un sens commun à toutes les plantes.
Catherine Lenne présente son travail sur les effets du vent sur les plantes et les arbres.
Expériences avec l’arabette des dames, la luzerne, et le noyer.
Face au vent, une plante diminue sa hauteur, augmente son épaisseur et son ancrage. Elle se fait plus trapue.
Ce mécanisme passe par des canaux mécanosensibles et il existe chez tous les êtres vivants.
Ce mécanisme a traversé l’évolution. C’est un sens fondamental qui nous a permis de sentir les frontières de notre corps.
Une plante « fléchie » perçoit une déformation cellulaire.
Le prolongement de ces expériences sur le vent va nous montrer que les arbres ont une sorte de mémoire.
Expérience sur le peuplier (Ribeiro, 2013)
De jeunes peupliers subissent une première flexion et des tissus leur sont prélevés pour étudier l’expression d’un gêne spécifique, qui s’active en cas de déformation mécanique.
Après une deuxième flexion 24h plus tard, le peuplier ne répond plus de la même manière, il s’est « souvenu » de la déformation précédente.
Il faut attendre 10 jours entre deux flexions pour retrouver une réponse semblable à celle de départ.
Le but de l’arbre étant de pouvoir s’élever, ce dernier a appris à ne plus percevoir les vents faibles, il se désensibilise.
D’autres recherches montrent que les plantes sont hypersensibles :
- A la lumière (qualité, direction…)
- Au toucher (vent, grêle, gravité, forme propre)
- A la température
- Aux substances chimiques
- Aux sources d’eau
- Aux pollinisateurs
- Aux sons
Arbres et plantes perçoivent le monde, agissent et répondent à cette perception. Ils ont développé une hypersensibilité par l’obligation de fixité. Ils sont capables de « mémorisation » et d’apprentissage (cad une réponse modulée en fonction d’un vécu).
Le sens de la proprioception et de la graviperception
Est-ce que les arbres ont conscience d’eux même ?
L’ arabette des dames, placée à l’horizontale, se redresse et se courbe pour être parfaitement droite.
Le peuplier de même, on retrouve d’ailleurs dans ses cellules des millions d’inclinomètres.
Des recherches (Tocquard, 2016) ont prouvé que l’arbre incliné perçoit son inclinaison ( graviperception) et ses courbures (proprioception) ce qui lui permet de se redresser.
Chaque portion de tige se courbe et se décourbe en percevant ses propres courbures et en fonction des courbures voisines.
Les arbres ont une conscience perceptive d’eux-mêmes. Ils perçoivent leur forme propre.
Les plantes communiquent-elles entre elles ?
Ce que l’on sait : la plante répond face à une attaque.
Par exemple lors d’une attaque de chenilles, la salive de la chenille et la plante grignotée provoquent la libération d’une substance pour rendre la feuille immangeable, puis des substances olfactives sont libérées pour un état de défense maximum et l’alerte tant aux autres feuilles qu’aux prédateurs potentiels de la chenille.
Ce sont des expériences solides mais de laboratoire et réalisées sur seulement une vingtaine d’espèces.
Il y a bien réponse de défense systémique. Il y a bien communication avec un émetteur, un récepteur, un langage codé.
La plante communique d’un organe à un autre de ses organes.
Les plantes communiquent–elles entre elles ?
La plante attaquée émet des GLV dans l’air et sa voisine se met aussi en état de défense. Mais en extérieur , ces messages volatiles ne vont pas au delà de 50 cm.
Les plantes communiquent–elles par le sol ?
En forêt, il existe bien un lien physique champignons mycorhiziens – arbres mais nous ne connaissons pas ses caractéristiques.
En laboratoire, on a mesuré moins de 1% de substances échangées.
Nous sommes bien sur un front de science.
Aujourd’hui, tout est encore faux avec un parfum de vérité à la base.
Oui, la plante communique à l’intérieur mais pour communiquer entre elles, c’est à démontrer.
La neurobiologie végétale
On parle beaucoup de neurobiologie végétale et des publications controversées de Stéphane Mancuso. Il cherche dans les plantes des analogies avec notre système nerveux. Or les influx nerveux se perdent sur de courtes distances (au-delà de 20cm).
La biche qui broute une feuille…et provoque une alerte 10m plus loin, c’est de la science fiction.
Il n’existe aucune preuve de transmission d’un signal électrique d’un arbre à un autre.
Les analogies qu’il recherche : dans la sève du liber, il voit neurones et synapses et neurotransmetteurs.
Il y a bien des gènes qui se ressemblent mais ils n’ont pas forcement les mêmes fonctions.
Est-ce que la plante a un cerveau ?
Pas de cerveau, un système non centralisé, chaque cellule perçoit et est sensible.
Il y a bien un système d’intégration : une cellule perçoit et la plante entière se redresse !
Comment ? On ne le sait pas.
On pense que l’intelligence végétale peut se comparer à l’intelligence collective des essaims, ou intelligence distribuée.
C’est une intelligence qui leur est propre.
C’est un monde autre, une altérité. On n’a pas besoin de coller notre fonctionnement sur le leur.
Bibliographie
- Dans la peau d’un arbre, de Catherine Lenne
- Penser comme un rat, de Vinciane Despret
- Du comportement végétal à l’intelligence des plantes, de Quentin Hiernaux
Film : Le génie des arbres, d’Emmanuelle Nobécourt